Il y a des récitals qui versent dans la nostalgie, des prestations qui se transforment en rétrospective et des spectacles placés sous le signe des retrouvailles: le premier des deux concerts de Mireille Mathieu présenté, samedi, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts, cochait toutes les cases.
La chanteuse française n’était pas venue se produire au Québec depuis plus de 35 ans. Les FrancoFolies de Montréal n’existaient pas… C’est vous dire. On mesure la durée de l’ellipse qui se comptait en décennies jusqu’à cette semaine.
La longue absence
Charles Aznavour et Juliette Gréco sont venus nous visiter avec la régularité d’une horloge suisse jusqu’à leur départ pour l’éternel café des artistes. On a pu les voir vieillir graduellement sur scène et mesurer, à chaque passage, le mince changement de timbre ou la relative baisse de puissance vocale.
Mais samedi, dans la grande salle montréalaise où l’on voyait des tas de grands enfants – dans la quarantaine et la cinquantaine – accompagner leur père ou leur mère qui étaient de la génération qui a connu la chanteuse à ses débuts, il n’y avait essentiellement que deux cas d’espèce: ceux et celles qui avaient vu Mireille Mathieu il y a plus de 35 ans, et les autres, qui ne l’avaient jamais vue sur les planches.
D’où la crainte et la question: la voix de Mireille Mathieu tient-elle encore la route? La réponse est un indiscutable «oui».
Après le lever du rideau qui a dévoilé 10 musicien(e)s et choristes, un quatuor à cordes et présenté une vidéo de cinq minutes de Mireille Mathieu à travers le temps, la chanteuse s’est amenée à pas lents et prudents sur scène pour l’interprétation tout en douceur de Quand la nuit vient sur la ville. L’enchaînement avec la dynamique chanson de variétés Made In France – oui, une chanson en français avec un titre en anglais... – a rapidement démontré l’étendue du registre vocal de l’artiste de 77 ans.
«Je suis ravie et émotionnée d’être de retour à Montréal. Vous n'avez pas changé.»
Source: Jean-Charles Labarre
Si son accent du midi, sa coiffure – presque – immuable depuis six décennies et sa manière inimitable de rouler les «r» n’ont pas changé, Mireille Mathieu a cette capacité d’habiter ses chansons et d’extérioriser ses sentiments.
Face à la foule, micro dans la main droite, son bras gauche devient une extension des sentiments exprimés dans ses chansons en pointant vers le ciel ou la foule, ainsi qu'en balayant l’espace de manière théâtrale.
Elle peut, avec le soutien des musiciens compétents et d'arrangements raffinés, nous offrir de délicates (Toi et moi), dramatiques (Au Nord du Nord) et intenses (La voix de dieu) interprétations, puis, nous rassembler avec des chansons fédératrices et irrésistibles. À ce sujet, Santa Maria de la mer (charmeuse), Pourquoi le monde est sans amour (entrainante) et l’incontournable Acropolis Adieu (festive) ont été à la hauteur de leur légende.
Gerbes et bouquets
Dans un concert rock, le critique dénombre parfois le nombre de solos du guitariste ou du batteur. Dans un tour de chant de Mireille Mathieu, il compte le nombre de bouquets et de gerbes de fleurs qu’on vient lui porter sur scène: sept, sauf erreur.
Un spectateur lui a même amené des petits drapeaux du Canada et de la France. Futée, la Française a lancé «Vive le Canada!», «Vive la France!» avant d’ajouter «Vive le Québec!», ce qui a mené une autre ovation. Il y en a eu une bonne demi-douzaine... Mireille Mathieu connaît le tabac. Elle l’avait démontré plus tôt dans la soirée en incorporant le mot «Montréal» au début de Tous les enfants chantent avec moi. Réaction garantie.
L'héritage de Piaf
Révélée en France dans la foulée des vedettes féminines de la période yéyé (Françoise Hardy, Brigitte Bardot, Sylvie Vartan, France Gall, Sheila) qui cartonnaient durant la première portion des années 1960, Mireille Mathieu était pratiquement rétro dès ses premiers pas.
Petite de stature, sobre au plan vestimentaire et puissante en voix, elle était pratiquement l’antithèse du courant du moment, rappelant beaucoup plus une Édith Piaf dont elle a interprété de ses titres dans un concours dès 1964, puis chanté ses succès de nouveau lors du Jeu de la chance, à Télé-Dimanche, en 1965.
Les chansons de Piaf ou liées à Piaf étaient d’ailleurs en vedette dans ce récital visant à souligner les 60 ans de carrière de Mireille Mathieu. L’hymne à l’amour a été le point d’orgue de la première partie avec une interprétation à ce point vibrante et explosive qu’on aurait pu croire entendre Piaf elle-même. On est parfois trop généreux des ovations au Québec, mais celle-là était plus que méritée. C’est insensé d'avoir une telle voix à 77 ans, vocalises quotidiennes ou pas...
Source: Jean-Charles Labarre
Mathieu a enchaîné avec L’amour en robe noire, sa toute nouvelle chanson hommage à Piaf dont elle a composé la musique, les paroles étant de Claude Lemesle, le maître d’œuvre d’une foule de classiques de Joe Dassin. Splendide doublé coup de poing dans des registres complètement différents.
«Oui, je crrrois!»
Du présent, elle est revenue aux débuts, offrant son premier succès, Mon credo, et sa phrase-fétiche, «Oui, je crrrois!», en début de deuxième partie.
Amorcée presque a capella, la chanson gravée en 1966 a eu droit à un crescendo du tonnerre et à une finale kilométrique avec une note à l’infini comme ce fut souvent le cas dans la soirée. C’était la même chose avec l'immense Pardonne-moi ce caprice d’enfant: timbre, tessiture, phrasé, puissance… Tout y était. Renversant.
Entre la plénitude de La première étoile, le plaisir coupable de On est bien (superbes choristes), la découverte pour plusieurs de Tu es celui, dont les paroles sont de la Québécoise Sophie Nault, et un autre monument de Piaf, Non, je ne regrette rien, pas mal tout le monde y a trouvé son compte.
Moment touchant, voire, émouvant, l'interprétation tout en finesse et en retenue de Maman, la plus belle du monde durant laquelle on voyait sur écran des images de la chanteuse et de sa mère disparue en 2016.
Mireille Mathieu a lancé un «Je vous aime!» bien senti à la fin de Prends le temps, elle qui, souriante comme une gamine, n’a cessé d’applaudir les spectateurs qui ont entonné un tas de chansons avec elle, notamment Bravo, tu as gagné (The Winner Takes It All, d’Abba) à l’ultime rappel.
Si on se doit de saluer sa générosité (27 chansons), le nostalgique que je suis aurait pris encore plus de classiques (Qu’elle est belle, La dernière valse, Une histoire d’amour), quitte à sacrifier quelques chansons plus récentes. Mais quand nostalgie et rétrospective se côtoient, parfois, le survol de carrière prédomine. Aucun problème.
Quant aux retrouvailles, sans équivoque: elles furent triomphales.
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Mireille Mathieu en supplémentaire à la PdA, le dimanche 18 février, ainsi qu’à Québec (Grand Théâtre), le mardi 20 février, et à Sherbrooke (Salle Maurice-O’Bready), le vendredi 23 février.